|
Deux semaines de campagne. C'est à la fois le délai officiel accordé aux candidats avant le premier tour des élections régionales et cantonales, dimanche 21 mars, et le temps qu'il leur reste pour convaincre les électeurs d'aller voter. Le spectre de l'abstention hante en effet les partis. Lors des précédents scrutins régionaux, la démobilisation n'a cessé de progresser : 22,1 % d'abstentionnistes en 1986 ; 31,5 % en 1992 ; 42 % en 1998. Selon les dernières études collectées au ministère de l'intérieur, le taux d'abstention pourrait cette fois atteindre 45 %. Une telle évolution, qui témoigne d'un éloignement croissant à l'égard du processus électoral, constitue une menace pour les principaux acteurs politiques et soulève une interrogation sur leur légitimité.
Aussi le niveau de participation au prochain scrutin en sera-t-il l'une des clés. Nombre de dirigeants des principaux partis ont multiplié, ces dernières semaines, les appels au civisme et à la mobilisation, à l'occasion d'un scrutin censé rapprocher l'électeur des centres de décision. Outre le PS, qui a fait de ce thème un de ses axes principaux (Le Monde du 27 février), les candidats de toutes origines cherchent à attirer les sceptiques, redoutant qu'une trop faible participation ne renforce le poids des extrêmes, réputés plus aptes à mobiliser l'électorat protestataire. Cette préoccupation a, logiquement, gagné la droite : le "groupe des démocrates", qui rassemble une dizaine de députés de l'UMP, a publiquement demandé, la semaine dernière, que le parti chiraquien "montre l'exemple" en lançant d'urgence une campagne de sensibilisation destinée à endiguer le "fléau" de l'abstention. Quelques jours plus tôt, le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, avait déclaré qu'il ressentait "une très grande indifférence" des électeurs "sur le terrain".
"EFFET DE BALANCIER"
Le PS a pris les devants ; il s'apprête à diffuser massivement tracts et affiches sur le thème : "Voter PS, c'est voter pour soi", destinés à mobiliser les abstentionnistes potentiels. Son premier secrétaire, François Hollande, prête, de fait, un "calcul cynique"au gouvernement : "Plus forte sera l'abstention, explique-t-il, moins lisible sera le résultat et moins risqué le vote-sanction." Même si les études préélectorales attestent une montée du vote-sanction à l'égard du gouvernement (Le Monde du 5 mars), les dirigeants du PS observent que cette tentation ne se traduit pas forcément en intentions de vote en faveur des listes de gauche. "Ce n'est pas parce que les gens sont mécontents que ça produit nécessairement un effet de balancier", convient Bruno Le Roux, secrétaire national du PS chargé des élections.
Deux sondages récents peuvent accréditer l'idée selon laquelle la gauche serait la plus fortement pénalisée par une faible participation. Le premier, réalisé en décembre 2003 par Ipsos pour Le Point et LCI (sur un échantillon de 876 personnes), portait sur l'intérêt pour les élections régionales : 77 % des personnes interrogées se disaient alors "très" (27 %) ou "plutôt intéressées" (50 %). Cette proportion atteignait 82 % parmi les partisans déclarés de la droite parlementaire, tandis qu'elle ne rassemblait que 76 % des sympathisants de la gauche, 78 % des partisans de l'extrême droite exprimant de l'intérêt pour ce scrutin.
Une autre étude, réalisée les 20 et 21 février 2004 par BVA pour Acteurs publics (sur un échantillon de 961 personnes), cherchait à déterminer les motifs de l'abstention. Le premier cité par les sondés était la volonté de "manifester leur mécontentement", avancé par un tiers (33 %) de l'échantillon.
Autant de raisons qui conduisent le Parti socialiste à se mobiliser contre ce que M. Hollande qualifie de "paradoxe de l'abstention", et à tenter de convaincre les électeurs que "l'abstention- sanction est une punition pour soi-même". Non sans mal, à en croire les dirigeants du PS chargés d'animer la campagne, qui avouent avoir "rarement usé autant d'énergie à faire passer le message". "On passe plus de temps après les meetings à persuader chacun d'aller voter qu'à exposer nos arguments de campagne", constate M. Le Roux.
Le PS se fixe pour objectif de s'adresser en priorité "aux catégories qui ont le plus intérêt au vote mais qui s'y refusent", selon M. Hollande. Dans les deux semaines qui restent avant le premier tour, les militants vont être appelés à parcourir les cités HLM, les quartiers populaires, les lycées et les facultés pour tenter de motiver les plus jeunes et les moins diplômés.
Le nouveau mode de scrutin régional, assorti du passage d'un à deux tours, pourrait, par ailleurs, créer un effet d'optique et provoquer des basculements de majorité dans les régions alors que les résultats ne tiendraient en réalité qu'au déplacement d'une faible part de l'électorat. Face à la perspective d'une présence des listes du FN au second tour dans la quasi-totalité des régions, la qualité des reports de voix dans chaque camp devrait être déterminante pour l'issue des élections. D'où l'inquiétude de la majorité chiraquienne, attachée à minimiser l'enjeu politique national de la double consultation des 21 et 28 mars, au risque de dissuader son propre électorat.
D'où, aussi, l'intérêt de la gauche à présenter le double scrutin des 21 et 28 mars comme une élection de "moyen terme", propre à exprimer une appréciation sur la politique du gouvernement. Ensuite, passées les européennes du mois de juin, il ne devrait plus y avoir d'autre occasion avant 2007.
Patrick Roger
Les cantonales, scrutin délaissé
Dans la moitié des cantons, le renouvellement des conseillers généraux aura lieu aux mêmes dates que les élections régionales, les 21 et 28 mars. Avec les européennes, c'est le scrutin qui déplace le moins les électeurs. Le premier tour des cantonales de 1988 avait connu un pic de 51 % d'abstention. Depuis, il a été régulièrement couplé avec un autre scrutin. En 1992, adossé aux régionales, le premier tour avait enregistré un taux d'abstention de 29,8 %. En 1994 (européennes), l'abstention faisait un bond à 39,6 %. Celle-ci se stabilisait en 1998, à 39,5 % (régionales), avant de redescendre à 34,4 % en 2001 (municipales). Au second tour des cantonales de 1998 (qui concernaient les mêmes cantons que cette année), l'abstention était toutefois remontée à 44,5 %, les régionales ne comportant alors qu'un tour. Quel sera, cette fois, l'effet d'entraînement des élections régionales au second tour des cantonales et dans quelle mesure cela influera-t-il sur le résultat ? C'est l'autre inconnue du mois de mars.